La mission d’information du Sénat sur l’impact de la crise sanitaire sur les établissements culturels vient de rendre son rapport, très instructif. Son président, le sénateur de Paris Bernard Jomier (déjà rapporteur de la commission d’enquête sur le covid-19), a présenté les conclusions de la mission, avec ses deux rapporteurs, mon collègue francilien, le sénateur Roger Karoutchi, Vice-président du Sénat, et le sénateur Jean-Michel Arnaud. En voici un aperçu.
Le constat
Les établissements culturels subissent de plein fouet la crise sanitaire. Ils font partie des secteurs économiques les plus durement frappés, avec une fermeture administrative qui dure maintenant depuis plus d’un an, à l’exception de la courte période où leur réouverture a été autorisée durant l’été et au début de l’automne 2020, mais dans des conditions dégradées.
Pour l’ensemble du spectacle vivant, musical et de variété, la perte de chiffre d’affaires pour l’année 2020 s’élève à 2,3 milliards d’euros. Pour les cinémas, il est d’un milliard d’euros et de 217 millions d’euros pour les musées.
Les établissements culturels craignent d’être parmi les derniers établissements autorisés à reprendre leur activité, en raison des interactions sociales qu’ils favorisent. Les annulations de festivals, notamment de musique, prévus l’été prochain se multiplient depuis plusieurs semaines, malgré la volonté exprimée par le Gouvernement qu’il y ait une saison 2021 des festivals.
Un an après le début de la crise sanitaire, les établissements culturels manquent aujourd’hui encore cruellement de visibilité, alors même qu’il leur faut anticiper la réouverture du fait des lourdes contraintes liées à la programmation. À titre d’exemple, un spectacle nécessiterait entre trois mois et deux ans de préparation selon la taille du projet. En dépit des différentes clauses de revoyure fixées depuis la mise en place du deuxième confinement fin octobre 2020, aucune d’entre elle n’a permis, à ce stade, une reprise des activités culturelles.
Malgré le soutien rapide apporté par l’État et les collectivités territoriales aux établissements culturels, ceux-ci enregistrent de lourdes pertes. Les recettes de billetterie représentent une part essentielle de leurs ressources, y compris pour de nombreuses structures publiques ou subventionnées, qui ont largement développé leurs ressources propres au cours des dernières années. À mesure que la fermeture des établissements culturels se prolonge, les communes, qui sont les principaux financeurs de la culture dans les territoires et gèrent de nombreux équipements, rencontrent de plus en plus de difficultés pour prendre à leur charge l’intégralité des frais de ces structures et maintenir le niveau de leurs subventions aux autres acteurs culturels de leur territoire.
L’accompagnement dont les établissements culturels ont bénéficié de la part de l’État et des collectivités territoriales reste globalement inférieur à leurs besoins. Les établissements indiquent ne plus disposer d’aucune réserve de trésorerie dans la perspective de la reprise. Les assurances n’ont pas joué leur rôle et ont désormais introduit des clauses d’exclusion « Covid » dans leurs polices. Leur attitude explique très largement la décision de nombreux festivals d’annoncer dès aujourd’hui l’annulation de leur édition 2021 dans ce contexte de grande incertitude.
La mise à l’arrêt des activités culturelles a également un impact économique et social sur de nombreux prestataires qui interviennent dans d’autres secteurs d’activités, dans la mesure où les établissements culturels sont au cœur d’un écosystème qui génère de nombreuses retombées économiques indirectes.
Les établissements culturels ont très largement répondu à l’appel à se réinventer que leur
avait lancé le Président de la République le 6 mai 2020. La crise sanitaire a fortement incité les établissements culturels à développer leurs offres numériques pour maintenir le contact avec le public. Ces offres ne remplacent cependant pas la rencontre physique avec les artistes et avec les œuvres, dans la mesure où elles se limitent à une expérience individuelle, sans procurer les mêmes possibilités d’interactions. Par ailleurs, les établissements culturels soulignent tous que ces offres ne leur apportent pas de rémunération à ce stade, leur conception et leur réalisation constituant même un coût pour les établissements.
Des incertitudes pèsent sur le financement de la création dans les années à venir, compte tenu des pertes enregistrées par les établissements, qui a des effets à la fois sur leur capacité à investir dans de nouvelles productions, mais aussi sur le budget des opérateurs nationaux, à l’image du Centre national du cinéma ou du Centre national de la musique, qui soutiennent le secteur par le produit des taxes affectées prélevées sur la billetterie.
Quant aux Français, ils semblent s’être peu à peu familiarisés avec l’idée d’avoir à apprendre à vivre durablement avec le virus. Le public apparait disposé à se soumettre à des mesures sanitaires pour obtenir le droit de se rendre de nouveau dans les lieux culturels. Sondés il y a quelques semaines par le festival des Eurockéennes de Belfort, 70% des festivaliers souscrivaient à des mesures comme le port du masque ou à l’obligation de présenter un test de dépistage du covid-19 pour accéder au festival.
Depuis un an, les établissements culturels ont tous beaucoup travaillé, en partenariat direct avec des scientifiques, à l’élaboration de protocoles sanitaires renforcés de nature à limiter les risques d’infection du public, des personnels, des artistes et des techniciens au sein de leurs établissements. Des protocoles spécifiques ont été élaborés en fonction des risques propres à chaque métier (pratiques orchestrales, pratiques vocales...).
Les propositions de la mission d’information
Une reprise de l’activité progressive et encadrée
Le Sénat souhaite donc rouvrir les musées et monuments, les cinémas et les salles de spectacles en format assis dès la levée des mesures de restrictions en vigueur dans toute la France depuis le 3 avril. Le Président de la mission d’information a insisté pour que la réouverture des lieux culturels se fasse dans les plus brefs délais.
Cette réouverture ne peut être envisagée que selon un mode dégradé avec des jauges progressives tant que la situation sanitaire n’est pas sous contrôle ou que la campagne de vaccination n’est pas achevée.
Mes collègues sénateurs ont insisté sur le fait que les travaux scientifiques démontrent qu’aucun cluster ne serait apparu en plein air. Cette réouverture est ainsi d’autant plus possible que le risque sera faible. L’étude de l’Institut Pasteur de mars dernier indique que « la fréquentation des lieux culturels n’a pas été associée à un sur-risque d’infection pendant la période où ils étaient ouverts ». Dans son avis du 11 mars 2020, le conseil scientifique a d’ailleurs considéré que « la fréquentation des lieux culturels, y compris des cinémas et des théâtres, présentait un risque peu élevé, dès lors que les gestes barrières étaient respectés ».
Sur la base de l’audition du professeur Antoine Flahault, très instructive quant aux protocoles à mettre en place, les rapporteurs de la mission ont ajouté que des concerts en plein air en format debout, dès lors que le port du masque et les règles de distanciation physique étaient respectés, pourraient être relativement sûrs.
En revanche, ils estiment que la jauge de 5 000 personnes retenue par le gouvernement pour interdire les grands rassemblements apparaît arbitraire et ne repose sur aucun fondement scientifique.
Ce qui amène à la question des festivals pour cet été. La ministre de la Culture Roselyne Bachelot a présenté un protocole pour leur tenue. Mais celui-ci est restrictif, il ne fait pas de différence entre plein air et intérieur, et ne correspond donc pas à ce que sont une grande majorité des événements.
Mais les sénateurs reconnaissent cependant que la densité favorise les risques de contamination. C’est ce qui a d’ailleurs conduit le conseil scientifique à considérer, dans son avis du 11 mars 2020, que les fêtes et évènements culturels à forte densité présentaient un risque élevé. Ce constat justifie le recours au dépistage pour les personnes qui ne sont pas vaccinées afin de rendre possible ce type d’événements dès cette année.
Faire du « cas par cas » pour permettre à plus de festivals de se tenir cet été
La mission d’information a pointé la faible dotation du fonds (30 millions d’euros) destiné à soutenir les festivals face à la crise sanitaire et à faciliter leur adaptation, au regard du nombre de festivals organisés chaque année sur le territoire national.
Les concerts tests, prévus en mars à Marseille et en avril à Paris, ont dû être reportés au mois de mai, en raison de la troisième vague.
J’avais moi-même en début d’année interpellé la ministre de la Culture sur la nécessité d'anticiper les protocoles de réouverture des lieux culturels en France (Question écrite n° 19993). Et j’ai été en contact avec les porteurs de projets d'expérimentation à mener dans des salles fermées (places assises), fermées (place debout) avec, chaque fois, tests des participants avant l'entrée en salle, port du masque permanent puis nouveau test 5 jours après... C’est dommage car ces concerts sont pourtant prometteurs. Là où ils ont déjà été réalisés, comme en Espagne, aucun cluster n’en a découlé.
Les sénateurs de la mission d’information proposent donc d’accélérer et d’amplifier les expérimentations cliniques dans différentes configurations en ce qui concerne les concerts en format debout, afin de déterminer les conditions dans lesquelles les concerts pourraient être de nouveaux autorisés.
Afin de garantir que certains festivals puissent malgré tout rythmer l’été en France, ils préconisent une solution : confier au préfet le soin d’accorder aux festivals une autorisation au cas par cas en fonction du protocole sanitaire qu’ils présentent et de leurs engagements en matière de contrôle.
En revanche, ils estiment l’instauration d’un passeport vaccinal, qui ouvrirait l’accès aux lieux de culture, impossible à ce stade. Cette question ne pourra être débattue qu’une fois que l’ensemble des citoyens aura été mis en situation de se faire vacciner. Et ils notent que de nombreux établissements culturels considèrent qu’elle soulève des problèmes éthiques.
Beaucoup paraissent en revanche disposés à procéder au contrôle d’un pass sanitaire – qui prendrait la forme, soit d’un certificat de vaccination, soit de la présentation du résultat négatif d’un test – s’il s’agit d’une condition sine qua non pour permettre une réouverture de leurs lieux.
Un accompagnement de l’Etat indispensable
En attendant une réouverture, les sénateurs demandent à l’Etat de « maintenir un accompagnement des établissements aussi longtemps que ces derniers se verront imposer des restrictions concernant leurs jauges ». Ils proposent aussi d’instaurer une garantie financière de l’État pour le redémarrage, en particulier en ce qui concerne les festivals, afin de pallier le retrait des assurances.
À l’étranger, les établissements culturels confirment que la crise sanitaire continue de leur coûter cher, même lorsqu’ils ont été autorisés à rouvrir leurs portes.
Les sénateurs demandent enfin d’aider les établissements culturels à adapter leurs activités face à ce type de pandémies en créant un fonds pour l’équipement des salles en systèmes d’aération et de ventilation plus performants et en soutenant le développement des offres numériques. Une bonne ventilation est en effet un plus dans la panoplie d’outils pour faire face au covid-19, comme l’avait expliqué Antoine Flahault, s’appuyant sur le très faible nombre de contaminations dans le TGV et surtout les avions, où l’air est renouvelé en permanence.
Merci à mes collègues pour ces perspectives, encourageantes pour les lieux de culture. Vivement leur réouverture, il est plus que temps !
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