À l’initiative de mon collègue , le Dr Yannick Neuder, député LR de l'Isère, médecin cardiologue et vice-président de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, nous sommes près de 160 parlementaires à pousser un cri d’alarme face à la dégradation des politiques publiques en matière de soins.
Notre tribune, publiée par Le Figaro le 3 avril, pointe notamment du doigt la rupture de confiance entre les personnels soignants et le gouvernement.
Après sept ans à la tête du ministère de l'Économie, Bruno Le Maire cherche à se refaire une jeunesse après avoir joué à la cigale. La piste envisagée, une nouvelle vague de «définancement» de la Sécurité sociale, méthode de plus en plus ouvertement utilisée comme moyen pour pallier les lacunes de la politique économique et fiscale de l'État. Prise en charge médicale modulée en fonction des revenus, abandon de la médecine de ville et des établissements privés, baisse de remboursement des affections longue durée, baisse du remboursement des transports sanitaires etc. Tous les acteurs du soin sont unanimes : l’État n'envisage les politiques de santé qu'à court terme nous rapprochant inexorablement d'un effondrement. Aucune vision pluriannuelle que nous appelons de nos vœux depuis des années, une confiance rompue avec les acteurs… ministre après ministre, avec méticulosité, les maillons essentiels de notre système de santé sont fragilisés.
Le premier de ces maillons reste la formation de nos médecins. Nous formons le même nombre de médecins qu'en 1970… avec 15 millions de personnes en plus, une population vieillissante et une augmentation du nombre de maladies chroniques. Malheureusement, le devenir de nos déserts médicaux repose encore sur un système inique qui fait fuir nos étudiants à l'étranger : plus de 15.000 de nos talents quittaient la France en 2022, 45% des nouveaux inscrits au tableau de l'ordre des dentistes se sont formés à l'étranger, trois quarts des effectifs des amphis espagnols en kiné sont Français... En la matière, le gouvernement, dès son énième remaniement, a une nouvelle fois montré les muscles, concocté de nouveaux effets d'annonces : émissaire à l'étranger par-ci ! Permanence des soins par-là !
Rien de tout ceci ne permettra de pallier les pénuries de médecins. Entérinons plutôt la proposition de loi de territorialisation de la formation - adoptée en première lecture en fin d'année 2023 - qui s'attaque aux véritables carcans de la formation en médecine en France : en finir avec le double parcours PASS-LAS, rapatrier nos étudiants partis à l'étranger, permettre le redoublement de la première année d'études, territorialiser les stages, graver dans le marbre les passerelles des métiers paramédicaux vers la médecine. Le gouvernement et son administration continuent pourtant de s'autosatisfaire : «Nous formons plus depuis la loi de 2019». En effet, on compte 13% d'étudiants en plus, mais ce petit pourcentage est largement en deçà des objectifs escomptés et ne couvre même pas les besoins liés aux départs à la retraite de nos médecins (1 arrivant pour 3 retraités).
Alors que notre hôpital public ne tient plus que sur un fil, un autre maillon est, lui aussi, grandement fragilisé : la médecine de ville, en particulier nos établissements privés. Malgré les multiples intentions des gouvernements en faveur du virage ambulatoire, les traces du passage de Marisol Touraine qui a dramatiquement accéléré la centralisation autour de l'hôpital public, sont encore là et indélébiles. Rien n'a été consenti pour inverser la tendance d'une bureaucratisation de l'hôpital avec 34% de personnel non-soignant en France, contre 26% en Italie, 25% en Allemagne. Pire, la dernière crise sanitaire a renforcé cette centralisation, mettant toujours plus de côté la médecine de ville alors qu'elle constitue aujourd'hui la clef de voûte du plan de sauvetage de notre système de santé.
En témoigne l'énième croisade du gouvernement contre l'hôpital privé : les annonces de Frédéric Valletoux concernant le financement de nos cliniques, et ce, sans concertation ni dialogue, ont fait l'effet d'une bombe. Le rôle du privé, qui concentre pourtant un tiers des établissements de notre pays, pivot complémentaire de l'hôpital public dans nos territoires, a purement et simplement été déconsidéré. Arguant une hausse de leur activité pour 2024, ignorant que 68% des maternités privées et 73% des services d'urgence seront déficitaires en 2024, le gouvernement sous-financera - comme rarement il l'a fait - nos cliniques, soit, en bout de chaîne, la prise en charge de neuf millions de patients. En 2024, les ressources seront en augmentation de 4,3% pour l'hôpital public mais stagneront à 0,3% pour le secteur privé alors que l'inflation s'élève à 4%. Les principaux acteurs de l'hospitalisation craignent désormais de ne plus pouvoir maintenir leur présence dans les territoires en observant que 60% d'établissements privés pourraient être déficitaires dans les prochaines années. Des arrêts d'activité en cascade sont donc à prévoir sur tout le territoire.
Comment le gouvernement a-t-il pu rompre le lien de confiance avec ceux qui maillent notre territoire pour nos aînés, nos proches en situation de handicap et de dépendance et contribuent au quotidien, à construire le virage domiciliaire ?
Plus concrètement, une maternité privée du sud de la France, qui fait naître 3000 bébés par an, a vu son contrat d'électricité passer de 400.000 euros par an en 2021 à 1,3 million d'euros en 2023, ainsi que 15% de hausse des contrats de blanchisserie et de restauration. La coopération public/privé, ville/hôpital, le plein fonctionnement des deux jambes de notre système de santé sont déterminants. Continuer d'opposer les acteurs comme le fait le gouvernement c'est l'assurance de créer les conditions d'une perte de chance pour de nombreux Français et un appauvrissement chronique de l'offre de soins. Médecins, du public et du privé connaissent bien la complémentarité de ces deux modes de prise en charge dans les moments les plus difficiles. Que dire aussi, de l'abandon pur et simple de nos EHPAD. Sept EHPAD sur dix sont en déficit, les établissements ne peuvent plus régler leurs charges de fonctionnement. Pour tenter de répondre à la crise : six ans d'attente d'une loi grand âge et une loi bavarde sur le «bien vieillir» maintes fois reportée et finalement dévitalisée.
Enfin, l'un des maillons essentiels reste et restera ceux qui portent au quotidien notre système de santé. Là encore, le message envoyé par le gouvernement, au-delà des reconversions d'anciens ministres dans la médecine esthétique, est à rebours de l'urgence. Nos médecins libéraux, sans compter ceux qui déplaquent ou partent en retraite, dénoncent l'enlisement des négociations conventionnelles et des contreparties demandées par l'administration, au pied du mur. Nos infirmiers libéraux, de leur côté, désespèrent de voir un jour leurs conditions de travail, leur statut et leur rémunération décoller. Aujourd'hui la profession le fait comprendre en cessant son activité partout en France. Il devient urgent de revaloriser le statut de nos infirmiers libéraux qui constitue le meilleur investissement pour faire du virage domiciliaire une réalité. Nous appelons encore de nos vœux l'examen d'une proposition de résolution à ce sujet.
Passons également la situation catastrophique de la prise en charge du cancer par le définancement de l'innovation thérapeutique ou encore les 21 départements non pourvus en soins palliatifs alors que s'ouvre un projet de loi de prise en charge de la fin de vie. Comment le gouvernement a-t-il pu rompre le lien de confiance avec ceux qui maillent notre territoire pour nos aînés, nos proches en situation de handicap et de dépendance et contribuent au quotidien, à construire le virage domiciliaire ? Après s'être mis à dos l'hôpital public, les médecins généralistes et spécialistes, les infirmiers libéraux, les étudiants en santé, les pharmaciens, les établissements privés, vers qui le gouvernement se tournera-t-il pour assurer le soin pour tous et partout ? Pire, lorsque tous ces maillons seront brisés, où et par qui les Français pourront-ils encore se faire soigner ?
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